lundi 21 mai 2012

La réputation : 8 leviers pour améliorer la compétitivité (5)

Quelle est la mécanique de la réputation ? Par quels dispositifs agit-elle ?
 
Ce cinquième billet sur la réputation est la suite de quatre précédents publiés il y a quelques jours sur ce blog (billet 1, billet 2, billet 3 et billet 4).
 
 
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La réputation apporte une information toujours imparfaite, souvent incomplète, parfois non pertinente, mais suffisante pour prendre la décision pour laquelle on recherche de l'information.
 
On pourra dire qu'une information est pertinente pour une décision donnée si cette information permet de se former une opinion plus précise sur la qualité de la décision. A priori le décideur ne devrait donc pas prendre en considération pour former cette décision-là une information qui n'est pas pertinente. Cependant, lorsque l'on ne dispose pas des informations nécessaires, une information, quelle qu'elle soit, même inutile, peut apparaître comme utile. Afin d'illustrer ce concept, il n'est rien de plus simple que de considérer nos jugements dans le domaine de la politique. Imaginez que l'on soumette à votre jugement une proposition de loi. Vous devez donc formez une opinion sur la qualité du texte qui est proposé. Vos critères de jugement peuvent porter sur les bénéfices pour la société, le respect de principes supérieurs, sa facilité d'exécution, etc. Supposer que l'on vous présente le texte comme émanent de la réflexion des membres d'un parti qui est en général opposé aux idées du parti auquel vous êtes affilié. Cette dernière information (l'affiliation des auteurs du texte) est-elle pertinente pour juger de la qualité du texte ? Non, elle n'est pas pertinente. Elle ne permet pas d'améliorer notre opinion sur cette proposition en particulier en regard des critères de jugement que l'on avait mis en avant. Par exemple, connaitre les auteurs de la proposition nous permet-il de juger de sa facilité d'exécution ? Non, pas plus! Mais pas moins aussi !

Pourtant nous sommes souvent influencés lorsque nous formons un jugement à propos d'une chose par un grand nombre d'informations dont certaines ne sont évidemment pas pertinentes. Il est toujours souvent difficile de s'extraire des influences qui ne sont pas pertinentes. Dans mon métier, je dois évaluer le travail des étudiants qui participent à mes cours. Le professeur appréciera la qualité du travail pour former une note. L'appréciation de l'étudiant qui résulte d'un trimestre d'échange ne devrait cependant pas être prise en considération ! Il est cependant très difficile de séparer les deux, c'est-à-dire de ne pas prendre en considération ce que l'on sait d'une personne lorsque l'on évalue un travail. Une copie peut toujours être anonymisée, mais pour une présentation orale ce n'est pas possible.

On pourra dire qu'une information est parfaite lorsqu'elle apporte une certitude quant à la valeur d'une décision sur un critère de jugement. Par exemple, si l'on considère l'acquisition d'un véhicule et que l'on évalue comme particulièrement importante, en autres critères, la consommation énergétique de ce véhicule, alors on sera attentif à toutes les données qui pourraient nous informer de la performance énergétique des modèles disponibles. Souvent, les fabricants présentent des données de consommation, en cycle urbain ou en cycle mixte... Mais dans le « cycle de notre trajet le plus fréquent » qu'elle sera la performance réelle des véhicules que nous considérons. Comment cette performance va-t-elle évoluer avec l'âge du véhicule ? Les données fournies par le constructeur sont certes précises (véridiques, certaines). Pour informer notre critère d'évaluation, ces données ne sont cependant pas parfaites. Elles doivent être, avec un degré d'incertitude, transformées pour alimenter notre critère de décision. Dans l'agroalimentaire, les conditions météorologiques affectent la bonne réalisation des décisions les plus importantes. Quelles seront les conditions au cours du prochain mois ? Personne ne peut le prédire avec certitude.

Les informations seront considérées comme incomplètes si l'on ne dispose d'aucune information sur les valeurs d'un ou de plusieurs critères de décision. Ces critères sont pertinents, mais aucune information n'est disponible. Nous serons alors au moment de prendre une décision dans un état d'ignorance vis-à-vis de ces critères. Par exemple, lors d'un voyage nous sommes parfois soucieux de pouvoir lire nos messages email. Ce besoin va conditionner le choix de notre hébergement. Cette information n'est malheureusement pas toujours disponible !

Ces précisions apportées, la réputation agira sur deux dimensions :
  • La valeur indicatrice. On recherche, dans un premier temps, une indication quant à la grandeur d'un critère utile pour prendre une décision.
  • La réduction de l'incertitude autour de la valeur indicatrice. Dans un second temps, on cherchera à confirmer cette valeur indicatrice.
Ce désir de confirmation, bien que dans la nature humaine, est, par ailleurs, considéré comme problématique. On parlera de biais de confirmation. Il s'agit d'une erreur systématique qui consiste à rechercher des informations qui confirment une intuition au détriment des informations qui pourraient infirmer cette même intuition. Le dossier est instruit uniquement à charge (ou uniquement à décharge). Faire jaillir la vérité apparaît alors périlleux !

Focalisons notre attention sur le désir de réduction de l'incertitude autour de la valeur indicatrice. Quelle confiance peut-on avoir dans cette information ? On omet souvent cette dimension lorsque l'on considère la réputation. La réputation est duale. Elle est composée d'une valeur indicatrice et d'un degré de confiance. Il y a ce que l'on nous dit d'une chose et la confiance que l'on attribue à ces propos. On prendra d'autant plus en considération une information pour former une décision que nous considérons celle-ci comme crédible.

Avec Perrine Nadaud et Francis Declerck, nous avons réalisé une série d'expériences visant à évaluer l'importance de la confiance dans l'achat d'un produit alimentaire présentant une allégation invérifiable par l'expérience. L'impossibilité de vérifier une allégation est une situation particulièrement fréquente dans le domaine alimentaire. Le consommateur n'est pas en mesure de vérifier si un produit est effectivement issu de l'agriculture biologique, si une allégation santé est effective, etc. La confiance est alors une dimension critique. Par contre, l'expérience de consommation permettra d'objectiver certaines allégations (goût, service, etc.). La confiance est alors ici secondaire, puisque le consommateur pourra, sur ces dimensions, se forger au travers d'une expérience de consommation une opinion.

Dans une expérience nous avons cherché à évaluer l'effet de la confiance sur l'intention d'achat, pour plusieurs niveaux de prix, d'un produit alléguant :

« Jus de fruits, contribue à lutter contre le vieillissement cellulaire »
On peut que constater qu'il est presque impossible de vérifier par la consommation, même répétée, cette allégation. On devra admettre également que cette allégation n'intéressera que des personnes soucieuses de réduire le poids des années.

Nous avons cherché à estimer les apports de trois indices qui se présentent sous la forme d'affirmations :
  • Contenu : « produit riche en antioxydants et polyphénols »
  • Preuve : « effet validé par 20 travaux de recherche ... »
  • Agence : « allégation certifiée par l'Agence Européenne ... »
Au cours de cette expérience, nous avons constaté qu'il existe un degré de confiance dans l'allégation spontanée. Il est en moyenne (sur plus d'une centaine de personnes interrogées) de 30 %. L'indice de Contenu fait progresser la confiance de 4-5 % en moyenne. La contribution de la Preuve est de 14-15% et celle de l'Agence de 10 % environ. Ces trois indices permettent de doubler le niveau de confiance moyen. Il passe de 34 % à 60 %.

Nous avons également constaté que la confiance affecte positivement l'intention d'achat de la manière suivante. Un point de confiance supplémentaire donne 0.6 point d'intention d'achat supplémentaire. Nous avons constaté un degré de transmission similaire de la confiance à l'intention d'achat au cours d'une autre étude portant sur les produits issus de l'agriculture biologique.

L'intention d'achat dépend également du prix. En moyenne, elle passe de 50 % à 28 % lorsque le prix passe de 1,5 €/ L à 3 €/ L. Mais en présence des trois indices (Contenu, Preuve, Agence), elle passe de 67 % à 45 % pour une même variation de prix. Nous avons estimé que pour un niveau d'intention d'achat de 50 %, l'apport en confiance de ces trois autorisait un accroissement de prix de 0.9 €/ L à partir d'un prix initial de 1,5 €/L. Autrement dit, un même niveau d'intention d'achat (ici 50 %) peut être obtenu dans les deux cas suivants :
  1. pour un prix de vente de 1,5 €/L.
  2. Pour un prix de vente de 2,4 €/L, lorsque la confiance a été au préalable doublée par l'apposition des indices de Contenu, de Preuve et d'Agence.
Le lecteur devra dans tous les cas considérer qu'une bonne réputation aura d'autant plus de valeur que celle-ci sera également jugée comme crédible.

Cette expérience nous apprend également que certains indices sont moins signifiants que d'autres indices. Par exemple, l'effet de l'indice Contenu est beaucoup plus faible que celui des deux autres indices. Les personnes interrogées méconnaissaient en majorité la relation entre la richesse en antioxydants et polyphénols du produit et le vieillissement cellulaire. Cet indice n'était pas signifiant.

J'ai observé au cours d'autres expériences d'autres aspects dont les effets sont substantiels. Voici un résumé de mes observations :
  • La pertinence : en quoi cette information (réputation) est-elle utile pour cette décision-là ?
  • La visibilité/accessibilité. L'accès une information pertinente n'est pas toujours aisée. Internet a profondément modifié ce paramètre.
  • La signification. L'information est délivrée sous une forme qui n'est pas toujours signifiante pour le décideur. Par exemple, si l'on s'adresse à un enfant, il conviendra de parler sa langue. Un jeune enfant n'aura pas de difficulté à comprendre que Prince (le biscuit) lui apportera l'énergie nécessaire pour délivrer la Princesse de son coeur. Que penser de l'information nutritionnelle ?
  • La clarté. La même recette de cuisine présentée avec une typographie de lecture facile aura plus de chances d'être considérée comme plus facile à mettre en oeuvre (un critère important pour un néophyte) que si la typographie est plus difficile à lire.
  • La crédibilité. Nous venons de consacrer l'essentiel de ce billet à cet aspect.
  • Le storytelling. La manière dont l'information sera délivrée est d'une grande importance. Mes étudiants ont testé les effets de la présentation d'un produit probiotique sur les intentions d'achat. L'effet est indéniable. Par ailleurs, une histoire est souvent plus facile à transmettre à un tiers qu'une liste d'avantages et d'inconvénients. Elle est également plus facile à mémoriser. On devra se poser la question de l'usage des images, du texte et des sons.
  • L'émotion. On ne saurait sous-estimer, dans le cas d'une décision importante pour celui ou celle qui s'apprête à la prendre, les aspects émotionnels qui sont naturellement attachés à cette décision. Certaines composantes de l'information seront très probablement perçues plus importantes que d'autres.
  • La notoriété (la familiarité). Une information répétée deviendra familière et sa crédibilité naturellement rehaussée. Il conviendra toujours de différencier une vérité réelle d'une vérité sociale. Voir dans les billets précédents la section sur les croyances concernant le prix des fruits.

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Dans le prochain billet, j'évoquerais le premier des huit leviers : les effets de la réputation sur les ventes d'un produit.

Les travaux de recherche mentionnés dans ce billet sont disponibles en version électroniquegratuitement auprès de l'assistante de la chaire Madame Cantrel (cantrel@essec.edu).
Il s'agit du cahier n°13 Produits de l'agriculture biologique : Quelles mentions pour garantir la confiance et du cahier n°14 Allégation santé : quelles mentions pour garantir la confiance ?

Les lecteurs intéressés par le Storytelling pourront consulter les 7 billets de ce blog sur les mythologies péri-alimentaires. Ils ont été publiés au début de l'année 2012.

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