mardi 11 octobre 2011

Mythologies peri-alimentaires (2)

Ce carnet est la suite de Mythologies péri-alimentaires (1)

Un mythe est simplement une histoire, un récit dont l’objectif est, nous disent les spécialistes, de nous rendre intelligible le monde. Mais le Mythe n’explique pas, tout du moins il n’explique pas directement. Il expose de manière subtile, il suggère. Son influence sur nos comportements peut être redoutable.

Quel est le mode opératoire du mythe ? Lors d’une rencontre, il y a plusieurs mois déjà, Marie Marquis, Professeure à la Faculté de Médecine –Nutrition de l’Université de Montréal, nous avait fait part de son questionnement sur l’effet des publicités alimentaires sur le comportement alimentaire des jeunes mères canadiennes. En cette occasion, elle évoqua alors plus particulièrement l’évolution de la représentation de l’enfant dans les publicités alimentaires au Canada.

De gentleman gastronome en culotte courte, celui-ci était devenu progressivement un méchant « petit monstre » avide de nourritures.

On peut se poser la question de savoir quels pourraient être les effets potentiels de cette représentation des enfants dans la publicité sur de jeunes mères, même si cette représentation reste largement inconsciente.

Cette représentation appelle la figure maléfique de l’ogre. L’enfant est-il devenu un petit ogre moderne que l’on doit abondamment et surtout rapidement sustenter ? Par cet acte libérateur, la mère préserve alors sa tranquillité. Cependant, si la figure de l’ogre surgit, alors la jeune maman pourrait être impactée, même inconsciemment, par la symbolique de l’ogre, un personnage fréquent de la mythologie ou les contes pour enfant (peut-être pas toujours pour les enfants d’ailleurs).

Dans la mythologie, l’un des premiers ogres est le dieu Cronos. Il est le plus jeune des 12 titans, les enfants d’Ouranos (le ciel) et de Gaia (la terre). Il dévore inlassablement ses enfants, car on lui avait prédit, qu’il serait détrôné, à son tour, par son propre fils. Souhaitant conserver son trône, c'est-à-dire son pouvoir, il ne peut alors que dévorer ses enfants. Symboliquement, l’Ogre représente la figure du père qu'il faut abattre pour devenir un adulte. Notons que Cronos ne se contente pas d’occire ses enfants pour préserver son trône, mais qu’il les dévore.

Lorsque l’on évoque la figure de l’ogre, un des contes de ma mère l’Oye de Charles Perrault revient souvent en tête : celui du petit poucet. Comme dans beaucoup de mythes, celui du petit poucet est un emblème de la victoire de l’intellect sur les forces brutes de la nature, du contrôle humain sur notre animalité primitive. Que surgisse à l’esprit d’une jeune maman, l’un des deux mythes ou bien encore un autre, c’est probablement le sentiment de la délivrance qui fera jour. La marque apparaîtra alors comme le moyen, le médiateur, de cette émancipation maternelle, et toute naturelle, des forces dévorantes de la jeune nature.

Il y a, à mon sens, une grande distance entre suggérer que la marque se propose de nourrir les passions gustatives naissantes d’un gentleman gastronome en culotte courte et de suggérer qu'elle apporte une solution aux appétits voraces d’un ogre. Education ou libération ? Le mythe véhiculé par la publicité peut éventuellement être un facteur déterminant de la formation de nos représentations mentales, y compris en ce qui concerne la « normalité » de nos comportements et ceux de nos enfants. Ces représentations pourraient servir de modèles, et possiblement influencer inconsciemment nos comportements. Cette influence peut se faire sous la forme d’une acceptation, consciente ou inconsciente, du modèle suggéré ou au contraire d’un rejet de ce modèle, qu’il soit conscient ou inconscient.

Elisabeth Badinter a récemment souligné combien la représentation qu’une femme pourrait avoir d’elle-même est possiblement conditionnée par de subtiles (ou mais aussi souvent pas toujours subtiles) influences. Elle met par exemple en exergue le sentiment de culpabilité que les mères sont susceptibles d’éprouver si l’on imposait une taxe aux couches culottes jetables pour des raisons écologiques.( Elisabeth Badiner : Le conflit, la femme et la mère, 2010.)

Bien évidement la marque, en devenant une composante d’un récit publicitaire, va également être affectée par les autres composantes du récit, par l’image des personnages représentés dans la publicité, par les symboles qui s’y intègrent, la musique, etc. Dans tous les cas, elle sera, au travers de la publicité, associée aux représentations mentales que le récit publicitaire fait surgir comme celles de l'enfant ou de la mère que nous venons de brièvement exposer.

A suivre ....

Faites nous part de vos mythiques histoires alimentaires.
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